Proust dans une tente de camping
J’ai lu toutes les œuvres de Proust au cours d’un été, celui de mes 17 ans. C’était dans un camping près de Perpignan. Un camping deux étoiles (le strict minimum pour lire du Proust).
19 juillet 1952. Il fait chaud. Plus de 35 degrés à l’ombre. Pourtant je ne sors pas de ma tente. Car à peine ai-je commencé à lire A la recherche du temps perdu que je me suis mis à oublier tout le reste. Je l’ai lu d’une traite, en une journée.
Le soir, quand je sors de ma tente, un peu avant minuit, les autres ados de mon âge sont en train de danser et flirter dans la discothèque du camping pendant que leurs parents jouent aux cartes en buvant du pastis. Moi, je mange des restes de sardines à l’huile avec une lampe torche sur le front et du pain de mie dans la main.
Le lendemain, je remets ça. Du côté de chez Swann cette fois-ci (le meilleur de Proust selon moi, je l’ai d’ailleurs lu deux fois de suite). Comme la veille, je ne sors pas de ma tente de toute la journée et ce malgré la chaleur me faisant autant suer que des endives au gruyère placées dans un four réglé sur un thermostat de 220.
Afin de ne point abîmer mes livres de la pléiade (impossible de lire du Proust sur une autre collection, ce serait comme regarder un film de Lelouch sur son téléphone portable), je mets des gants en soie. Cela me donne l’impression de manipuler la Joconde, plus de trente seconde à chaque fois pour tourner les pages et éviter que la moindre goutte de sueur ne leur tombe dessus.
24 août. Bientôt la fin des vacances. J’ai fini toute l’œuvre de Proust, étant à présent sérieusement en manque (si je pouvais sniffer des pages broyées de l’auteur, je le ferais).
A force de lire dans ma tente, je suis devenu aussi bronzé que la couleur des pages de la pléiade (n’ayant plus qu’à me faire tatouer des mots sur le corps pour devenir un livre ambulant). De toute façon peu m’importe, ce n’est pas ce qu’on paraît qu’on est, c’est même plutôt l’inverse. D’ailleurs ce n’est pas moi qui le dis, c’est Proust. La preuve : il a pris des femmes pour évoquer ses sentiments alors qu’il a toujours préféré les hommes. Pour ma part, je préfère les sardines en boîte aux madeleines, de même que les tentes de camping aux palaces et écrire assis plutôt qu’allongé. Mais les goûts sont comme le paraître, un conditionnement. C’est ce que je me dis en relisant Du côté de chez Swann pour la troisième fois, mais dans la collection Folio cette fois-ci. Mon côté rebelle ado sans doute…
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